vendredi, avril 27, 2007

Fais péter


Je viens de lire une interview d'Alexkid, un poil complaisante et promotionnelle, mais qui contient une idée qui me trotte dans la tête en ce moment. Il souligne le fait que la musique électronique, même soumise à l'impératif d'être jouée en club, devrait être plus innovante. En effet, il est difficile à mon sens de ne pas partager de ce sentiment de ressemblance d'une grosse partie de la production électronique de club. Quiconque écoute une partie des sorties hebdomadaire, sur beatport par exemple, se doit de constater le nombre de morceaux absolument conventionnels, clones de hits de l'année passée, criblés de tics de production répétitifs, presets de synthés réitérés de maxi en maxi (je pense notamment à tous les remix de Claude VonStroke qui entretiennent à des degrés divers un air de famille avec son tube de 2006), et autres arrangements percussifs tapageurs mais un peu ennuyeux au fond.

il est intéressant de noter certains principes très peu remis en cause: construction par superposition de boucles, stabilité du beat (les breaks tels que celui du Drumtrax de Joakim où le beat ralentit puis réaccèlère soudainement sont peu fréquents dans les cultures techno ou house), combinaison boîte à rythme/synthé quasi immuable (on entend par ci par là un peu de guitare, quelques voix mais rien de significatif). Au fond, malgré la numérisation de la chaîne de traitement du son, on en reste à un système encore assez proche du set-up d'un groupe de synth-pop des années quatre-vingt. On peut considérer ce format comme une contrainte à l'intérieur de laquelle on peut déployer une forme d'expérimentation plus ponctuelle, finesse de la production, des réglages de synthés subtils, sampling, travail progressif sur la texture du son, intégration de voix, recherche du groove parfait, mais il est malgré tout notable que le refus de ces cadres de base signifie presque automatiquement la catégorisation "electronica", et donc un régime d'écoute différent. On sent certains producteurs mal à l'aise dans ce système, par exemple James Holden (extrait de son blog/site perso):

"i got lucky last week, music-wise. thursday, kieran hebden & steve reid totally blew us away - like the best rave-music set ever, and entirely played live. that's live as in: no sequencers, which requires balls.

i left that gig thinking they'd made me want to dance more than any dj i'd seen for years and a bit dispirited about techno which lasted until saturday when dj koze musically slapped some sense into me. he's the best dj of all djs. and also the funniest living german too. and his new song 'all the time' is amazing, beautiful post-techno."

Comme souvent avec son blog, en quelques phrases il fait jaillir pas mal d'idées sur la situation de la musique de club. Il note une relation de cause à effet entre le plaisir pris et l'absence de séquenceur (qui en gros garantit à lui tout seul deux des principes immuables notés précédemment, le système de boucles et la combinaison synthé/boîte à rythme). Il est vrai que le séquenceur, même virtualisé sous forme de logiciel, oriente déjà le genre du morceau et sa structure. Il est rare aujourd'hui d'échapper au système traditionnel intro-beat seul, pause, beat+synthé, répétition avec ajouts progressifs de boucles périphériques, break, montée et reprise du beat-synthé avec un gros synthé qui conclut le tout. Parmi les voies que ne semble pas prendre l'électro de club, il y a donc celle d'un rythme souple, joué de façon live autour duquel on pourrait imaginer le morceau se construire. La popularisation de la norme midi et la façon dont sont conçus la plupart des logiciels de musique (protools, digital performer, traktor, ableton live, logic...) peut expliquer ce constat, sans même évoquer les causes plus sociales de respect des attentes présumées d'un public.

Une autre voie que n'a pas empruntée la musique de club est celle de l'écriture intégrale de la partie mélodique. Si l'on peut concevoir qu'une musique voulant faire danser s'appuie sur un beat répétitif, facile à intégrer pour le public, il n'en va pas forcément de même avec l'idée de thème répétitif au synthé. Si dans certains cas cette répétitivité est combinée à un travail sur le son faisant apparaître une progression, il faut bien admettre que globalement la question n'est pas posée par le producteurs. La proposition d'un Frank Zappa dans Jazz From Hell est finalement restée lettre morte: il s'agit d'un album instrumental, de musique électronique, presque entièrement programmé, à quelques exceptions près. Le beat, quoique soigneusement préparé, est simple, et la partie mélodique est constituée de lignes de synthés qui travaillent le thème du morceau comme un solo de guitare peut travailler un riff, avec de multiples variations et une recherche de la non répétition, produisant ainsi un effet grisant par la virtuosité de l'ensemble. J'ai beau chercher, je ne vois pas trop d'équivalent dans la musique de club récente, il doit y en avoir, mais ça ne me vient pas trop à l'esprit spontanément. Je ne voit que des morceaux où l'idée de progression consiste, je dis ça pour caricaturer, à rejouer le même thème de plus en plus fort. On dira "quelle boucle!".

Forcément, comme dans le cas de James Holden, ça rend un peu triste de se dire ça. Un dj qui jouerait un titre sortant de ce paradigme boucle de synthé/beat répétitif verrait la piste se vider fissa, et ainsi les producteurs ayant l'ambition de faire danser les gens commencent par penser leur morceau dans ce format; c'est le cercle vicieux. On pourrait arguer que la mécanique de la destructuration de ce format commence à prévaloir comme modèle de musique à impact direct sur le public. Un James Holden pousse ses synthés vers des degrés de dissonnance assez conséquents et travaille ses beats jusqu'à un certain niveau d'abstraction, c'est vrai. Je ne sais pas à quel point la remise en cause du format va s'amplifier. Un lecteur malpoli me faisait remarquer que le Phantom de Justice déforme le sample des Goblin pour susciter une forme de dégénérescence jouissive du morceau, mais ça me paraît assez décoratif, cosmétique, comme subversion de la norme musicale. Etant donné l'état des outils technologiques, produie ce type de déformation ne relève pas d'une réflexion sur le genre mais d'un constat d'une certaine forme d'efficacité de certains "trucs" de production. Il suffit de regarder la liste de plug-ins fournis avec Ableton Live, on y trouve par exemple un "beat repeat", qui se charge, moyennant quelques clic rapides, de destructer un sample ou un beat, mimant les procédés qu'obtenaient un groupe comme Autechre il y a dix ans, par un travail profond sur leurs machines pour tenter de les faire fonctionner de manière non-conventionnelle. On trouvera même des fabriquant de plug-ins dédiés spécialement à la production d'outils voués à ce genre de mécanismes: les Destroy FX par exemple.

Je pense qu'il y a là une forme de tension révélatrice d'un certain état de l'electro. Face à la simplification du travail par les solutions logicielles, une ligne de partage se trace entre différentes pratiques: les tenants du tout-machine traditionnelles, tel Vitalic, misant sur une certaine idéologie du travail bien fait, méritoire, les artistes travaillant à l'ordi intégralement pour raffiner le travail sur le son, mais choisissant de rester dans les cadres préexistants, musicalement parlant, tel Random Factor ou Booka Shade, ceux qui sont passés au numérique mais s'imposent des contraintes personnelles pour maintenir leur "patte" personnelle au sein même du set-up, je pense à The Field, qui dans cette interview explique qu'il ne travaille qu'avec un logiciel de 1995 et dans les conditions du live pour produire ses morceaux, et ceux qui essayent de se placer volontairement en avant-garde, avec ce que ça peut impliquer de pose et d'artifice. On pourrait penser à James Holden, bien forcé de communiquer sur une image de franc-tireur nerdy. Il a pu dire par-ci par là qu'il expérimentait avec des programmes comme Max/Msp, environnement de programmation ne déterminant pas nécessairement le format final du morceau. Il est dur de savoir la part de ces expérimentations dans sa production de musique pour club. Dans l'extrait cité il pose comme connue cette catégorie nommée "post-techno", on imagine qu'il s'y voit dedans, sans doute.

Il y a plus à dire sur les chemins que n'a pas pris l'électro populaire au cours de sa constitution, laissant au champ de l'avant garde musicale la liberté de forme, mais là j'ai pas envie.

un petit morceau:


Kieran Hebden & Steve Reid - The Sun Never Sets

James Holden en dit du bien, ça suffit à me donner envie de l'écouter. Il est vrai en plus que de savoir la part d'improvisation dans la méthode de travail du duo explique pas mal le côté jouissif des changement de rythmes à la batterie, des déclenchement intempestifs de samples et de riffs de synthés, finissant par ramener dans un format quasiment free jazz un peu du plaisir que procure un bon gros morceau de techno arrivant à son climax. ça vient du nouvel album, Tongues.

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