lundi, janvier 22, 2007

De la techno pour tous, tout de suite

Assemblage de remarques diverses, avec plein de liens:


J’ai l’impression qu’une forme de marché étrange est en train d’apparaître autour de l’idée selon laquelle, compte tenu des avancées récentes en matière de logiciel musical, tout le monde aujourd’hui peut prétendre devenir producteur de musique électronique. Le logiciel Ableton Live communique beaucoup autour de cette idée, en essayant de promouvoir leur produit à la fois auprès des débutants et des professionnels: "You can effortlessly shape sounds without being concerned about technical intricacies, but if you like to dig deeper, you will find myriad possibilities for creating unique, personalized sounds" (trouvé sur le site Ableton.com). On retrouve le même discours chez Reason ("Making music should be as easy as powering up a computer, loading up a powerful piece of music software, and getting down to business. And it is"), et chez Mackie, pour le séquenceur Tracktion. Apple propose une solution graduée (Logic et Logic Express) dans le même esprit.

D’autre part, on voit de plus en plus des musiciens semi-professionnels ou professionnels proposer des outils censés faciliter l’accessibilité des techniques de création musicale. Il y a par exemple ce mec, qui vous vend non pas un logiciel mais juste un set pré-préréglé pour utiliser le logiciel Ableton en solution pour Dj sans avoir à effectuer les réglages soi-même. Ou alors celui-là, que vous connaissez peut-être par ses contributions aux compilations Braindance de Rephlex, qui vous invite chez lui pour bouffer des cookies et se faire expliquer le manuel gratuit qui détaille le fonctionnement d'Ableton, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. Encore un peu plus fort: des sons pré-produits par ce qui ressemble à une petite entreprise spécialisée dans le genre. Même topo ici. Il faut vraiment croire que le nombre de personne voulant faire de la techno en cinq minutes est important.

Autre constat: le nombre de concours de remix pour amateur commence à être étonnant. Le site Beatport (sur lequel j'ai acheté le morceau que vous trouverez en bas) propose régulièrement ce genre de compétition aboutissant en général à la publication du morceau gagnant sur le site. En ce moment il propose de remixer un des tubes 2006 du label Get Physical: Les Djinns, de Djuma Soundsystem, qui était, comment dire, mince, euh... pas très très bon. Les frenchies de BlackStrobe font pareil: .

Tout cela laisse quand même un peu perplexe. Le fait qu’en matière de musique électronique on parle bien de producteurs et non de compositeurs indique ce qui constitue à mon avis l’essentiel de cette activité, le travail sur le son. Les qualités purement musicales d’écriture n’interviennent que dans ce cadre; une brilliante composition ne vaudra pas grand chose si elle n’est jouée qu’avec des sons trop convenus. Or, ce que ces outils semi-amateurs offrent n’apporte aucune aide quand à la compréhension du fonctionnement du son. Une sorte de culture de l’assemblage se dessine par ces pratiques: on glisse-dépose un preset d’instrument virtuel sur une piste, on joue quelques notes, on répète cette opération sur plusieurs pistes et on applique quelques plug-ins de mastering, si possibles très chers, en utilisant encore une fois des réglages préenrigistrés, et zou, le tour est joué. Le pire étant le placage systématique d’effets mal dosés, reverb sans fin, saturation systématique, etc. On pourrait penser que ces simplifications d’utilisation répondent à une nécessité d’attirer des débutants. Je pense que cette idée n’est pas complètement valable, puisque les logiciels ne prennent pas franchement en compte des options pédagogiques, qui permettrait de sortir d’une utilisation strictement productiviste du programme (je pense en particulier aux tutoriels trop succincts d’Ableton). l'idée mise en avant est vraiment la sensation d'une immédiateté dans le processus de création, de la pensée au morceau, il n'y aurait que quelques clics. La tendance technologique en matière de musique assistée par ordinateur est l’intégration: le tout en un, de la composition au mixage final dans un seul et même logiciel. Si l’intéret économique est évident, force est de constater quand dans le domaine de la musique électronique, cette démarche est à peine applicable. Cette musique est pleinement dépendante de la technologie qui la produit, et se subdivise parfois en genre définis par leur relation à un outil précis de création ( on peut penser par exemple au son “acid techno”, tributaire du synthétiseur Roland Tb 303). Dès lors, on pourrait suggérer que le plaisir pris à l’écoute d’un morceau d’electro est souvent réductible à la perception d’une utilisation spécifique de technique de production; on entend souvent chez les amateurs pointus des éloges sur la façon dont la ligne de basse sonne, sur le découpage d’un sample, sur le traitement d’une voix, d’un synthé, etc. Cela ne revient pas à dire qu’il n’y a de plaisir pris que par l’analyse de la musique par un discours de spécialiste, mais plutôt que, même inconsciemment, c’est toujours une qualité infime, très spécifique, qui permet l’adhésion au morceau d’electro. L’electro est un domaine ou l’on valorise la différence minime. On aime qu’un morceau de musique électro dansante satisfasse son contrat d’écoute (en gros: donner envie de se remuer) en y introduisant sa toute petite subversion. Cette plus petite différence possible est le produit d’un travail très spécialisé, qui ne peut s’obtenir que par la maîtrise d’un outil technologique. A mon avis, le jour où l’on écoutera un album entièrement produit dans Reason, ou intégralement produit dans Ableton, n’est pas encore là. Reason interdisant l’ajout de plug-ins extérieurs, et l’enregistrement de sons en direct, se condamne à rendre le programme dépendant d’autres solutions pour obtenir un produit fini: il peut fonctionner en “esclave” pour Ableton, Logic, ProTools, ou autre, dans le cas contraire, le morceau produit devra sans doute de toute façon passer par un autre logiciel pour être mixé; étape souvent négligée par les solutions “tout-en-un”, même si elles offrent des suite de d’outils de mixage et de mastering (à mon avis défaillantes).
Se pose alors la question du coût réel du matériel nécessaire pour produire de la musique électronique de bonne qualité. La partie logicielle peut être obtenue en partie via de copies piratée, mais n’épargne pas l’achat d’un système d’écoute, et d’une carte son permettant le contrôle précis des niveaux. Il s’agirait là vraiment d’une installation minimale; la lecture des dispositifs techniques de tous les producteurs que j’estime me glace parfois le sang: il faut en gros décider de consacrer l’intégralité de ses revenus pour s’acheter des synthétiseurs analogiques, des amplis à tube vintage, des enceintes hors de prix, et autres micros, pré-amplis, plug-ins, tables de mixages… On ne s’étonnera pas de découvrir que certains des meilleurs producteurs exercent le métier d’ingénieur-son en studio pour gagner leur vie (je pense à James Murphy, dont, soit dit en passant, le Sound Of Silver fait d'ores et déjà partie de mes chouchoux pour 2007, et Booka Shade en particulier).

Petite digression:
La musique électronique semble souvent s'appuyer sur une certaine idée de l'amateurisme, du Do-It-Yourself; elle est la culture du home-studio, de l'autodidacte par excellence. Cela étant, un certain degré de professionnalisation semble caractériser les producteurs les plus pointus. Cet article écrit par Richie Hawtin illustre bien l'idée suggérée par Pierre dans un post précédent sur ce blog; la constitution du Dj/producteur en chef de PME; pour viabiliser sa production, terme dont on sent ici un autre sens à développer, il doit produire des concepts, des idées, et organiser le tout de manière exploitable, compréhensible. On pourrait penser que la relation entre producteurs amateurs et professionnels dans le monde de la musique électronique calque celle du monde du spectacle, où la créativité est en partie prise en charge par des bénévoles, ou intermittents dont le coût est pris en charge par la collectivité, et dont les bénéfices sont reversés à ceux qui se constituent en structure économiquement viable. La relation est supposée être à profit mutuel (échange argent/ légitimité), mais on peut se demander si les bénéfices sont comparables. Par exemple, parmi tous les groupes émergents qui contribuent à assoir le prestige du label Kitsuné, combien retirent suffisamment de crédit pour subsister par eux-mêmes? Savent-ils que leur musique est un produit comparable à un textile (la preuve en fin d'article ici)? De fait, la star du label c'est le patron.

Enfin bon, tout ça pour vous dire en fait que produire, mixer et masteriser un morceau de qualité, ça me semble être juste impossible, j'en fais des cauchemars la nuit. La grande démocratisation de la création musicale, c'est pas pour tout de suite, même si on sent des efforts dans ce sens. Les grands producteurs peuvent encore dormir tranquille.

Prenons en particulier l'exemple de Morgan Geist, dans cette interview, il explique (en bas de la page) sa prédilection pour le hardware, contre le software, rendant le mystère de la qualité du son Metro Area un peu plus épais.

La preuve avec ce morceau:

Metro Area - We Also Not

Ce n'est pas une nouveauté, loin de là, mais ce titre n'est pas sur l'album ni sur aucun des maxi de la série "metro area" parus sur Environ, certains ne l'ont donc peut-être pas dans leur collection. Il est sorti en 2002 sur Tigersushi, en face B du disque More GDM vol.3. Pour les amateurs de disco, ce titre sera une vraie bénédiction: l'alliance clap/kick/clochettes constitue une partie rythmique simple mais efficace, déjà orientée vers des textures mélodiques, et les claviers apportent progressivement des accords puis des arpèges (qui renvoient à l'univers de l'italo-disco, cher à morgan geist) qui développent des motifs très courts, empêchant toute mièvrerie dans cette ambiance en effet peu agressive. De quoi étoffer votre répertoire disco/total zob.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

(“Like our music, our clothes are very good quality and will last.”) Marrante cette interview, où il ne se dit rien mais où on a droit à de la com, comme souvent, avec cette tendance qui est de parler en espérant que ce que tu dis est en train de devenir vrai.