jeudi, novembre 30, 2006

La Stratégie de la Balle Dans le Pied

Coucou: nouveauté sur Total Zob, un juke box qui accompagnera la lecture de messages toujours plus longs. Il ne vous reste plus qu'à vous caler au fond de votre siège, vous servir un verre, brancher votre ohmybod sur la sortie audio de votre ordi, faites-le discrètement si vous êtes dans un lieu public, et maintenant vous pouvez profiter de la totale expérience.


Depuis l'année dernière, une revue dvd entièrement consacrée à l'actualité de la musique électronique offre des portraits d'artistes d'ordinaire ignorés par la presse spécialisée.
Slices, c'est le nom de ce rafraîchissant projet, ne raisonne pas en termes de mouvement, de tendance, ou même de genre, mais s'en tient à des parcours individuels, décrits dans leur contexte propre, en fonction de l'actualité des disques; c'est à mon sens une des raisons pour lesquelles le contenu surpasse sans mal celui de ses homologues papier et télévisé (Trax et Tracks, donc). Le dvd propose quelques clips, sans grand intêret, des mini-interviews, peu consistantes, mais surtout des reportages de 12 minutes chacun, dans lesquels les artistes ont vraiment le temps de détailler leur évolution, le choix de leur label et leurs méthodes de travail. La sélection du numéro de septembre (le prochain sort dans deux semaines) est irréprochable: Henrik Schwarz, Loco Dice, Carl Finlow, Emperor Machine, Thomas Melchior, Soulphiction, et Remute (j'en passe deux autres qui m'ont paru moins intéressants). Chaque portrait mêle entretiens face caméra et intermèdes graphiques, plus ou moins heureux, la palme revenant pour moi aux exploits culinaires de Henrik Schwarz, pendant lesquels on peut écouter la musique évoquée.
Mais la cérise sur le gâteau est sans conteste la présence d'une interview de Mad Mike, la légende de Detroit, qui revient sur les débuts d'Underground resistance, la place de ce label dans la scène électronique, et sur le rôle qui d'après lui incombe à sa structure dans le tissu social de sa ville. Imaginez aujourd'hui un label à la mode, à Paris par exemple, un de ces labels qui vendent des pulls en cachemire et de la musique de club, reverser les bénéfices obtenus par leur deejays à des adolescents de leur quartier pour financer leurs études. On mesure l'étrangeté de l'évolution sociale de la culture club. Il faut admettre qu'à partir d'un certain moment les valeurs véhiculées par ces musiciens, noirs issus des quartiers les plus difficiles d'une ville en état de sinistre social, sont devenues l'apanage d'une frange de la population à l'opposé des origines américaines du mouvement. Mad Mike le souligne quand il fait remarquer, premièrement, que, dans les années 80, quand les pionniers du mouvement techno en ont jeté les bases, ils ont opéré un grand écart culturel entre l'avant-garde européenne, Kraftwerk, et la culture soul afro-américaine, et, deuxièmement, que le renvoi d'ascenseur, de l'Europe jusqu'à Detroit et Chicago, n'a jamais vraiment eu lieu. On m'objectera que le mythe de Motorcity reste un modèle très fréquemment cité par les artistes électro; mais précisément, et je vous remercie de faire cette confusion, ça simplifie ma démonstration, il s'agit d'une image perpétuée, une attitude, et non pas la vraie aide espérée par Mad Mike. Au fond, le projet initial d'Underground Resistance n'a pas été compris: ancien musicien studio de la Motown, Mad Mike entendait rompre radicalement avec le système des maisons de disque qui, pour des motifs promotionnels, confondaient volontairement production musicale et création de figures publiques, les artistes. D'où le parti-pris d'anonymat, que Mad Mike maintient encore aujourd'hui. Il voulait déconnecter la musique de son image sociale. De manière attendue, ce principe est devenu une image très forte à son tour, et a dès lors préparé l'échec de l'entreprise politique d'U R. Le site officiel est à ce titre flagrant: le militantisme affiché de la structure est avant tout aujourd'hui un réservoir graphique de motifs publicitaires et de slogans un peu creux. Il est donc très agréable de pouvoir réentendre Mad Mike s'exprimer directement, et réaffirmer la vigueur de son engagement pour un culture du funk, du collectif, et du mépris de l'establishment.
Cela étant, on ne peut s'empêcher de noter la douce ironie du dispositif: Slices, support de ce discours très frais de Mad Mike, n'est autre qu'une excroissance promotionnelle de T-Mobile, l'opérateur de téléphonie mobile international. La charte graphique adoptée va jusqu'à reprendre le code couleur du logo de la firme. Il semble que la musique électronique soit désormais dans une fâcheuse posture: sociologiquement dévoyée, elle n'est plus que le support de connotations bébêtes: étant produite par des machines, elle incarne le nouvel ordre technologique mondial, étant une musique destinée aux clubs, elle s'adresse à la jeunesse, et étant volontiers conceptuelle, elle s'inscrit dans un culture du "design", qui vise à l'intégration de nos goûts et de nos besoins dans un "lifestyle", un mode de vie, où tout s'harmonise dans l'unité d'une marque. Ces traits sont aisément, à mon sens, vérifiables par un bref relevé des publicités qui font appel à la musique électronique: Orange se paye un morceau de Lcd Soundsystem et un autre d'Aphex Twin, un comble quand on connaît la roublardise du personnage, qui aurait pu être le héros de la stratégie de la balle dans le pied s'il n'avait pas su mettre en oeuvre une telle inventivité (qu'il ne semble plus pouvoir exercer musicalement d'ailleurs) dans la gestion de son brand-name le plus notoire, Sony se paye Stereo Total, ou encore Air, Peugeot fait claquer les synthés de Justice pour vendre on sait quelle voiture, Bouygues illustre sa passion pour tout ce qui se désintègre avec un morceau intrumental de DJ Shadow, Motorola affiche du Add (N) To X, Jean-Louis David coiffe au son de Playgroup remixé par Zongamin, Tiscali choisit Royksopp, France Telecom opte pour RJD2 (de même qu'Adidas, Levis, et la prévention contre l'alcoolisme; no comment), Coca pétille au rythme de Readymade FC, Apple a déjà sorti le chéquier pour que Daft Punk et Rinoçérose fassent danser les silhouettes noires porteuses d'Ipod, BMW roule pour Boards Of Canada, Alldays utilise Bob Sinclar pour incarner ses grosses tâche fluos, et pour achever ce tour non-exhaustif (loin de là, mais les exemples plus anciens relèvent des mêmes catégories. J'ai exclu tout ce qui a trait à David Guetta, qui pousse le plaisir jusqu'à jouer dans les pubs utilisant "sa" musique), Nintendo emploie du Fannypack. Bigre. Je ne saurais pas vous dire qui est ce client idéal que ce relevé semble dessiner, mais je peux vous dire qu'il a du pognon.
L'aspect le plus problématique à mes yeux de cette instrumentalisation est la difficulté à savoir qui gagne quoi dans cette transaction. La marque espère s'adjoindre le prestige lié aux connotations listées un peu plus haut, l'artiste acquiert une notoriété et un revenu sans doute inespéré dans un milieu où vendre 2000 disques suffit à être considéré comme "phénomène" (Mad Mike, dans le même entretien, s'amuse à imaginer la tronche que feraient les membres de U2 si on leur disait qu'ils ont vendu 2000 exemplaires de leur dernier disque). soit. il ne reste alors à mon avis qu'un seul vrai perdant: l'amateur de musique électronique qui passe son temps à se retrouver catégorisé de force. Se dire que même un type aussi zinzin qu'Aphex Twin et un groupe aussi dématérialisé que Boards Of Canada peuvent être les emblêmes éphémères de produits hi-tech me laisse songeur. Cela implique nécessairement qu'un conseiller marketing quelconque a réalisé une étude de marché tendant à prouver que ces musiques correspondent à l'esprit de la marque; et le pire, c'est qu'il a forcément raison. Il nous incombe donc de faire désormais preuve d'une extrême prudence si l'on ne veut pas subir ces incessantes catégorisations: c'est bien d'une hygiène des goûts musicaux que je parle. A nous de faire en sorte de ne pas mériter ce qui nous arrive (à moins qu'on ne le souhaite, ce qui au fond ne doit pas être impossible: l'idée selon laquelle certaines personnes se réjouissent à l'idée de pouvoir dire en public: "je connais cette musique c'est machin chose du label truc", pendant une page de pub par exemple, n'est pas si incongrue, il pourrait même pousser le vice jusqu'à compléter son lifestyle en fonction de ces convergences), en s'efforçant de plébisciter l'irrécupérable, du vraiment nul à l'incompréhensible.
L'alternative, au niveau des artistes, c'est la stratégie de la balle dans le pied: elle désigne toutes les conduites mises en oeuvre pour réduire à néant tout ce qu'un producteur peut posséder de capital symbolique. Je pense au courage d'un groupe comme Tiefschwarz, qui après un remix éblouissant, qui parvient à mettre toutes les pistes de danse d'accord, et une compilation sympathique perpétuant ce plaisir, pond un ignoble album et massacre ce qui aurait dû être leur contrat en or, un remix pour Depeche Mode. Admirable. Saluons également l'audace d'un Tekilatex, qui non content d'être un artiste très en vue sur un label à la légitimité démontrée dans le monde de l'electro s'en va pourrir son image dans une écurie cultivant la médiocrité putassière depuis ses débuts glorieux (Mike Olfield quand même les enfants), et offre à la face du monde ce qui est peut-être le plus mauvais morceau de l'histoire. Merci bonhomme. Il faut parfois savoir se sacrifier pour l'équipe. Daft Punk en sait quelque chose: comment tenter d'endiguer la récupération mercantile après deux albums considérés comme autant de jalons dans la courte histoire de l'electro européenne? En faisant un étron-disque de génie, dont on clamera haut et fort qu'il a été entièrement conçu et produit en moins de trois semaines. Ainsi, les utilisations publicitaires seront toutes désormais teintées de cette nuance de crotte inimitable dont chaque morceau de cet album brille. Cet exemple prodigieux n'est pas resté lettre morte: les compères Boombass et Zdar s'en sont servis pour remédier à cette problématique médaille remise par Donnedieu de Vabres: 15 again est la réponse de Cassius à Human After All: trois semaines de travail miteux à Ibiza, et voilà le merveilleux objet, fleurant bon la fosse septique. Votre premier morceau est un tube si réussi que deux ans après vous n'avez fait qu'un maxi? Faites comme Justice: garnissez le disque de remixes atroces et de versions démo (étiquettées comme telles bien entendu) de morceaux inexistants, et vous aurez la douce assurance que les amateurs d'electro vous auront déjà reniés au moment où Peugeot vous aura rempli les tiroirs de billets verts. A vous de compléter cette liste de héros qui ont choisi de renoncer au prestige musical annonciateur de récupération "corporate" en se tirant tout seul une balle dans le pied. On comprend mieux désormais l'assertion visionnaire de tekilatex: Aphex Twin et Britney Spears=même combat. Bingo: ils nous vendent des merdes similaires, par des chemins différents. Allez, un morceau du prince des tireurs de balle dans le pied: Sébastien Tellier, dont le comportement mystérieux oscille entre abrutissement intégral et oracle hermétique. J'apprécie la façon dont il a forcé son label a tourner deux clips pour le même morceau, La Ritournelle, après avoir, avec la complicité de Mr. Oizo (je l'avais oublié dans ma liste de pubs celui-là), rendu un petit film bizarre (consultable sur le site).




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L'autre raison qui m'a fait choisir ce morceau, c'est la présence d'Emperor Machine, en fait la moitié des Chicken Lips, au menu de Slices. Ce remix porte vraiment la patte de ce projet, qui consiste à ressortir ses synthés analogiques pour en tirer des riffs insensés, plus proches du sound design d'un film de science-fiction que des arrangements disco habituels. Le remix garde néanmoins une structure dance music qui fait la part belle aux percussions et offre une ligne de basse monotone mais efficace. Du morceau original les Chicken Lips ont conservé les paroles, et des samples de cuivres et de cordes inattendus mais particulièrement amusants. Ils tirent profit du goût de Tellier pour les orchestrations un brin grandiloquentes, sans en assummer le sérieux. Sur ce fond déjà enthousiasmant, Andy Meecham déploie un panel d'accords de synthétiseur qui ne construisent aucune mélodie mais emmènent le morceau vers des ambiances psychédéliques. Et si vous entendez ce remix dans une pub envoyez moi un mail et je trouverai toutes les raisons qui font de ce morceau une daube infecte.

Je vous embrasse,

jojo.

jeudi, novembre 23, 2006

Le Goût des Zobs


Salut les amis:

Brancher directement de la musique dans ses organes génitaux: enfin possible. D’autres blogs ont mentionné l’existence très étrange d’Ohmibod, sans repérer certains des aspects les plus fous de cette entreprise. j’ai encore du mal à croire que cet objet est réel. Son utilisation n’est pas cantonnée à la musique électronique, mais force est de constater que leur site s’appuie largement sur une imagerie club. le vibro étant activé par la puissance de la pulsation, je n'ose pas dire la force des beats, on peut aisément comprendre les raisons de cette prédilection. Ceci dit, il faut néanmoins admettre que certaines représentations contribuent également à expliquer cette collusion. Les musiques de club sont considérées comme les outils permettant au dj de faire danser le public, et donc sont souvent associées à des clichés sensuels. On va pouvoir ici affiner l’idée, déjà évoquée, selon laquelle, sans tenir compte de la genèse historique de ces genres, la musique électronique pourrait être considérée comme un instrument de domination, vague et illusoire, des femmes par une minorité masculine. Ohmibod serait une manifestation assez unique des conséquences d’une logique de marketing globale voulant vendre la musique de club comme un produit à finalité érotique, logique dont il faudrait plus longuement étudier le fonctionnement (je me suis toujours demandé pourquoi de nombreux clips et publicités représentant des morceaux de house développaient une vision érigeant les femmes comme destinataires principaux, les danseuses, tout en faisant étalage d’une imagerie hétéro-érotique que l’on suppose destinée à une clientèle masculine; les djs sont des branleurs, soit, mais je me pose des questions: les amateurs de musique électronique utilisent-ils vraiment leur écoute pour se satisfaire manuellement? Toute écoute d’électro suppose-t-elle vraiment comme horizon l’instrumentalisation de cette culture pour copuler, fantasme dont la frustration inévitable ferait de la simple écoute musicale un substitut à la masturbation? L’électro est-elle à la branlette ce que la branlette est au sexe?)
Ohmibod c’est donc l’aboutissement de cela: l’electro comme source directe de jouissance sexuelle, sans métaphore. Ce qui en revanche me semble être le vrai coup de génie de l’entreprise, c’est le maintien de la dimension sociale de l’écoute musicale dans l’utilisation pronée par les créateurs de cet outil. En effet, les clients sont invités à proposer au monde entier leur sélection branlette sous forme de playlist, afin de constituer une base de donnée qui permettra à chacun de choisir avec plus de discernement le type de stimulation qu’il souhaite. Les catégories sont magnifiques (qui ne rêve pas d'une bonne session branlette hip hop "plug'n'thug"?). La connexion des goûts musicaux et de la fesse n'est pas nouvelle, mais s'ouvre désormais à l'horizon global. Il est marrant de constater que la logique de l’orgasme est une métaphore souvent employée pour justifier une construction un peu simpliste caractérisant des morceaux d’electro se contentant de mettre bout à bout des montées en intensité du même motif musical. La quasi intégralité des productions de Vitalic, le deuxième album de Superdiscount, certains remixes de Tiga et plein d’autres morceaux obéissent à ce système. La lecture des playlists d’ohmibod devrait nous renseigner à l’avenir sur l’impact réel de ces travaux en terme de spasmes corporels. Peut-être se développera un rapport à la musique calqué sur les goûts sexuels: on choisirait son programme en fonction du type de plaisir souhaité. Pas sûr qu’on en sache plus à l’arrivée sur les origines de l’un ou l’autre de ces goûts. Il serait même regrettable à l’avenir de devoir lire le top 5 branlette des inrocks avant d’enlever son slip. Peut-être que la distinction, le bon goût, vient de trouver là son ultime marché: faire observer les normes branlette de la société.
Le mp3 du jour devrait, je l’espère, permettre de satisfaire les deux pulsions, sexuelle et intellectuelle:

Snax - My Rug

Ce titre n’est pas extrait du dernier album de Snax, membre de Captain Comatose, mais du précédent. Il offre à mon avis la parfaite combinaison d’un type d’electro old school, basé sur la programmation d’une boîte à rythme accompagnée d’un synthé, avec les ressources de la voix de Snax, poursuivant ses explorations très Prince-iennes du son club. L’intro énigmatique ne dévoile rien de ce que le morceau renferme: un riff de boîte à rythme irresistible, composé de très peu de sons mais parfaitement agencé pour générer les ondulations du bassin recherchées. Snax oscille souvent entre un chant soul et un flow plus abrupt façon hip-hop. Ce morceau me semble aller plus vers cette seconde option, mais dans un style qui exclurait tout couplet pour ne retenir que des “catchphrases” réitérées jusqu’à la fin du morceau. Les différentes pistes de synthé qui habillent progressivement le morceau sont de deux natures: les accords joués avec un maximum de modulation pour atteindre le fort degré d’expressivité voulu, amenant le morceau vers des territoires plus funk, et un fil mélodique qui pose tranquillement une note sur chaque temps et adoucit considérablement le ton du morceau. Les heureux utilisateurs/trices de l’ohmybod peuvent désormais se le mettre où bon leur semble et presser play avec l’assurance de n’envoyer que des pulsations de qualité, estampillés Total Zob dans leurs orifices. Pour les autres, rassurez-vous: on peut toujours tranquillement s’étrangler le paresseux en écoutant ce morceau sur sa chaîne.

Bonne Bourre

jojo

ps: ne ratez pas les Tips & Tricks du site: on y apprend pêle mêle que l’utilisation en voiture est déconseillée à moins d’être passager (ce qui devrait donner naissance à une galaxie de scènes érotiques de plus en plus hi-tech), que l’ohmybod peut se brancher sur tout appareil musical (ils devraient à mon avis proposer un “quadrupleur” minijack pour permettre de brancher deux vibros (vibri?) et deux casques sur une seule source musicale, ce qui accentuerait le côté convivial; à quand les Ohmybod battles au Paris Paris, où chaque client éprouverait physiquement la qualité du dj à sa façon, selon ses possibilités biologiques et ses préférences personnelles?), et même, comble du génie, que le vibro n’implique pas l’écoute musicale, ce qui soulage sans doute ceux qui ne cherchent qu’un simple substitut de bite à se mettre dans le trou sans se faire chier à choisir ce qu’il convient ou non d’aimer pour se tripoter.


samedi, novembre 18, 2006

Voilà où ça nous mène, la folie des zobs

Aidez-moi: j'ai l'impression troublante que les deejays nous prennent pour des veaux. il m'est difficile de me souvenir de la dernière fois que je suis sorti en club pour aller voir un bon mix sans ressortir les oreilles défoncées, et de surcroît, un peu dégoûté par la sélection musicale, même de la part d'artistes que j'estime. et la mode récente consistant à faire saturer tous les synthétiseurs ne va pas arranger mon désarroi. Tout se passe, j'imagine, dans la tête des passeurs de disque, comme si, après une heure du matin, le public ne pouvait plus supporter des morceaux au bpm inférieur à 140, et comme si on perdait toute confiance dans la capacité d'un morceau à capter l'attention sans matraquage sonore. Les causes sont trop diverses pour être saisies ici, mais je vais proposer quelques pistes.
Premièrement, le monde des boîtes de nuit étant extrêmement concurrentiel, la qualité du spectacle proposé doit être basée sur l'intensité du "fun" que l'on tente de fournir au client. Les critères de cette intensité étant aussi flous qu'arbitraires, un primat est accordé aux manifestations les plus immédiatement perceptibles: cris, sauts, et autres signes supposés illustrer un sentiment d'abandon de soi. Quand l'on songe à tout ce que la présence dans ces lieux implique comme efforts, en terme de tenue vestimentaire, pouvoir financier, et investissement culturel minimal, au moins pour sélectionner la soirée et être en mesure de produire un discours sur l'offre musicale, ce pseudo-arrachement à soi-même me fait doucement rire. Cette remarque vaut surtout pour les boîtes à programmation spécifiquement électronique, phénomène cantonné aux grandes villes, et par conséquent majoritairement élitiste. Un deuxième champ de réflexion serait la peur du deejay d'être disqualifié pour cause de "linéarité". La nature essentiellement répétitive de la house et de la techno semble en effet se prêter facilement à ce type de reproche. Il est donc tentant de pratiquer une surenchère dans le volume et le rythme. c'est sans doute l'argument le plus simple, mais il me semble néanmoins assez juste. Pour finir, je voudrais esquisser une autre hypothèse; je n'ai aucun moyen d'en tester la réalité, mais si vous avez des témoignages pouvant étayer cette idée, je suis preneur. Voilà l'idée: il y a, à mon sens, un leadership masculin sur le monde de l'électro: la majorité des deejays est composée d'hommes et parmi les amateurs pointus, qui fréquentent les disquaires spécialisés, on trouve plus de garçons que de filles. J'ai toujours eu la sensation que la radicalisation progressive du son avait pour vocation de maintenir dans l'esprit du client un rapport de force entre un mâle dominant, fût-il au contrôle des platines ou accoudé au bar en train d'étaler sa science, et une clientèle féminine, supposée être coeur de cible (je pense à des arguments proches de ceux que Tiga avait proposés pour l'album de Mr. Oizo). C'est ma conviction intime: il y a une fiction perpétuée par beaucoup de deejays qui consiste à se poser en fournisseur d'énergie, à peine diminuée par la médiation des platines, pour maintenir une relation de domination. Tout contre-exemple est le bienvenu: citez moi un club dans lequel on ne ressent par cette inéluctable pression sonore monter passé minuit, et j'achète mon billet de train dans la foulée. Je rêve du club où à trois heures du matin, on écouterait ceci:

Jona - Tizia


Ce morceau n'est ni une nouveauté, ni une rareté. Il me tient néanmoins particulièrement à coeur. Sa construction est si irrésistible que cela laisse pantois, et me fait penser que ce jeune belge pourrait bien devenir le gros phénomène des prochaines années. Ce titre est extrait du maxi éponyme, qui constitue sa deuxième sortie sur le label Get Physical. Je pense que par rapport à ce label deux cas de figure sont envisageables: soit vous le connaissez et avez téléchargé le morceau avant même de lire ce texte, soit vous ne le connaissez pas encore, et, ma foi, vous vous exposez à de merveilleuses découvertes. On découvrira peut-être un jour que ce blog a été créé juste pour parler de tout ce qui touche à Booka Shade. En attendant, réécoutons ce Tizia à la production impeccable, tout en basses rondes et obsédantes, percussions digitales et synthés multi-traités par ordinateur. Jona déroule son thème initial sans jamais dévier de ce style imposé dès l'introduction; le cheminement est agrémenté de coupes aphex-twiniennes, d'anti-breaks (des moments de surcharge d'éléments parasites qui disparaissent soudainement pour laisser réapparaître le morceau), et de riffs de synthé tissant un réseau d'échos au thème central sans jamais tomber dans la guimauve. Allez sur Beatport acheter les autres perles de Jona (mention spéciale à son Tap Stroke EP sur Fumakilla).


je pourrais aussi complètement craquer et proposer un remix disco-house de Demis Roussos, mais ce n'est ni le moment ni le lieu.

bises

jojo

mardi, novembre 14, 2006

La résurrection a un prix

Photobucket - Video and Image Hosting
En l'occurrence trois premières minutes sous forme de coups de hache assénés au morceau original (un hymne pour pistes d'auto-tamponneuses qui mérite d'être entendu lui aussi), avant d'être relevé d'entre les morts par des sirènes infernales. Cette simple structure est reprise sans complaisance sur les six dernières minutes, qui sont spécialement dédicacées aux zombies.
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The Presets - I Go Hard U Go Home (Hell Berlin Mix)
(lien yousendit valable 7 jours)


Dans un autre registre, ce remix de Gavin Russom et Delia Gonzalez par Carl Craig.
Dix minutes de montée, avortée puis relancée, avec ce qu'il faut de variations autour d'une boucle entêtante. Notamment ce piano qui vient en fin de morceau se substituer à des sons jusque là très synthétiques pour mieux les laisser reprendre après la rupture. Amour.

Delia Gonzalez & Gavin Russom - Relevee (Carl Craig remix)
(idem, 7 jours)


Enfin, pour ne pas se contenter de valeurs aussi sûres que Hell et Carl Craig : Elastique remixé par Ivo Deutschmann et Pornbugs.
Un morceau qui pourrait plaire aux amateurs des productions de Patrick Chardronnet, sombre et sautillant à la fois.

Elastique - Satisfaction of Needs (Deutschmann & Pornbugs remix)
(là encore...)

lundi, novembre 13, 2006

Achtung Zobi

Les amateurs de musique électronique français lisent peut-être Trax, et peut-être sont-ils comme moi déçus de la décomposition progressive de ce magazine. La critique se fait name-dropping, les article démontrent souvent un travail de recherche limité à trois coups de google, et parfois l'ignorance est érigée en critère de qualité, le dernier numéro en offre un exemple flagrant lors du minuscule encart passant en revue l'incroyable nouvel album de Zombie Nation, réduit au rang de "bonne surprise", parce que le journaliste revendique n'avoir pas spécialement écouté les deux précédents (la présence du single Souls at Zero en point d'orgue du Bugged Out d'Ivan Smagghe n'était apparemment pas suffisante pour extirper ce professionnel consciencieux d'une réflexion bouleversante sur la "nouvelle scène française", ou d'un d'un débat aussi utile que "pour ou contre la techno minimale", pour aller découvrir son opus précédent, Absorber).
Je pourrais ainsi étendre à l'infini la liste des tares (les platitudes sur la folk, le rock, la disparition progressive de toute considération musicale, les retournements de veste éhontés, l'introduction de rubriques extra-musicales, qui tendent à ramener ces genres qui me sont chers à leurs manifestations les plus sociologiquement douteuses, les cautions de prestige attribuées à des "people" du milieu à l'expertise plus que douteuses {je pense en particulier à un blind-test confié à rédacteur de revue spécialisé dans la vie nocturne parisienne ou à l'incroyable encart nous offrant l'opinion de Tekilatex sur Squarepusher, dont il avoue volontiers détester la quasi intégralité des travaux, pour nous proposer par la suite en tant que points culminants de sa carrière les deux titres les plus connus de l'anglais "on ne parlait que de ça avec Paraone et les autres ". mortel.}, j'en passe et des pires) qui criblent cette revue sans vraie concurrence, mais je vais cibler ma déception, que je sais stérile, certains problèmes ont vraiment la peau dure, sur une phrase précise qui va servir d'introduction au mp3 du jour:

Skatebard - Boyvox



Un des hurluberlus de Trax croit dévaluer Skatebard en disant de son disque que "malgré quelques fulgurances, il caresse plus l'oreille qu'il ne l'accroche". Ma foi, voilà une excellente illustration de l'axe Bergkamp/Rool évoqué dans le post précédent. Trax exemplifie avec brio la tendance à une conception traumatique du son, à une culture de l'impressif qui, c'est mon opinion personnelle, ne tient pas la route. On devine que derrière cette conception de l'écoute se cache une interrogation sur l'utilité sociale du disque, de type: "quel profit m'apporte ce disque?, contient-il le morceau que je vais pouvoir utiliser dans ma conversation du soir?, ou encore, me fournit-il, une nouvelle définition de la pop (formule traxienne relevée dans le dernier numéro)". Loin de moi l'idée de critiquer un primat accordé à l'innovation, mais encore faut-il laisser sa chance aux efforts les moins visibles; d'où, à mon avis, le retard systématique pris par Trax sur chaque nouveau mouvement significatif de l'electro.
J'ai découvert Skatebard dans un mix de haute volée exécuté par Michael Mayer (qui distribue l'album via son label), disponible gratuitement grâce à l''émission de radio new-yorkaise Beats in Space (podcastable). J'ai été immédiatement séduit par ce son disco digital, faisant la part belle aux superpositions de boucles tournant sans relâche, quitte à laisser penser que la construction du morceau manque de relief. Le morceau proposé ici joue avec les limites du concept de disco, avec son beat housey résolument midtempo, ultra nonchalant mais accrocheur, et ses harmonies de clavier à la limite de la dissonance, formées de nappes très longues à la hauteur changeante, opérant d'incessants glissements d'une note à l'autre. Même le gimmick vocal fonctionne comme élément plus narcotique que dynamique. On y retrouve malgré tout de vrais motifs de musique de club, en particulier dans les petits breaks qui ponctuent le morceau, achevant de le rendre hybride. Ce type de morceau, volontiers qualifié de "mental", très répétitif et n'utilisant quasiment que du synthétiseur, requiert un type d'écoute très spécifique, et justement Skatebard propose avec humour dans le livret de son disque: "this record is best experienced on a portable music player, on an evening walk in your nearest forest or park". Vous savez ce qui vous reste à faire.

vendredi, novembre 10, 2006

Total Zob: Première

L'inauguration de ce blog très musical, quoique pas complètement, l'avenir le dira, ne se fera point en feu d'artifice, source de danger que mes lecteurs terriblement avertis connaissent bien. C'est tout en douceur que nous allons commencer notre exploration de la musique, dans ses développements les plus électroniques. Autant afficher mes convictions tout de suite: ce type de son me séduit plus quand il est joué façon Dennis Bergkamp que quand on le matraque façon Cyril Rool. Afin d'illustrer cette brillante métaphore, je vous suggère de vous procurer le morceau finement masqué derrière le lien suivant:

Michoacan - Basshead (Headgames)



Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas aventuré dans les dernières livraisons du bon docteur Lektroluv. Bien m'en pris lors de ma dernière incursion dans les méandres de Beatport, puisque je découvris ce petit bijou de l'hispano-americain Michoacan, qui s'inscrit parfaitement dans le renouveau disco qui fleurit depuis quelques années dans le sillage de Metro Area, Lindstrom ou encore Chateau Flight, pour ne citer que des artistes de pays différents. On appréciera la discrétion et le rythme mesuré du beat, le groove mélodieux de la ligne de basse, qui offre l'armature idéale pour développer des séries d'accords de synthétiseur au son si caractéristique de ce mouvement, une sorte de reproduction des synthés vintage des années 70/80, aux différents paramètres parfaitement contrôlés par les outils logiciels les plus récents. La répétitivité du morceau et le travail sur les textures de synthé, avec force effets de vibrato, renforcent une sensation psychédélique qui me pousse à remettre le morceau au début dès qu'il approche ses dernières secondes. J'espère qu'il vous collera aussi durablement aux oreilles.

zoubi

jojo