Salut,
Post paresseux:
Je vous reproduit ici le mail que m'a envoyé mon ami Pierre, en réaction à l'article précédent:
"Il y a un truc que j’ai pensé en te lisant: je suis pas convaincu par la dialectique de la récupération commerciale que tu mets en place. J’ai l’impression que parler de récupération commerciale et utiliser ce genre d’arguments, c’est ne pas prendre en compte une idée qui demanderait à être vérifiée, mais qui me semble tenir intuitivement :
Pour moi la musique électro, telle qu’on la connaît aujourd’hui en europe, fait intégralement partie de la culture bourgeoise. Je ne saurais pas définir a priori ce que j’entends pas culture bourgeoise, mais dans son extension en france aujourd’hui on retrouve plein de choses qui sont hyper importantes dans la façon dont la culture électro est fabriquée et promue:
Les musiciens et les DJ sont représentés comme des cadres, spécialistes dans leur domaine, connaisseurs de tendances. Il y a aussi la mise en valeur de l’anonymat et de la bonne exécution, plutôt que de la virtuosité et de l’exception, et la valorisation du local, de l’échelle métropolitaine, ou régionale (french touch, Cologne etc…). Les labels sont comme des P.M.E., les patrons de label comme des entrepreneurs éclairés, ou des patrons de grands restaurants, ou de boîtes de nuit. Des mouvements comme l’electroclash modifient à peine la donne, son attachement à des valeurs punk étant tout à fait formel, combien de jeunes fils de famille maquillés en rockeurs sur leurs affiches pour un seul DJ Hell...
C’est propre et technologique, comme un monospace Peugeot à la sortie du showroom. Ce serait intéressant de comparer plus scientifiquement le statut de l’electro avec celui de la musique classique et la musique baroque dans la culture d’aujourd’hui. Mais prends le nombre de pubs avec de la musique classique ou baroque; en fait toutes les pubs qui ne ciblent pas un très grand public à coup de jingles et de musique teletubbies a de très fortes chances d’être accompagnée soit de classique soit d’électro en fonctions des connotations particulières de ce qui est vendu. De la même façon les pôles “culture officielle” de la musique classique et de l’électro se retrouvent sur ARTE dans une émission spécialisée et ils ont leur presse magazine de niche. Il y a aussi un culte des maisons de disque dans la musique classique et baroque qui est la plus proche de la culture officielle (exemple de Harmonia Mundi).
Peut être que tu as déjà vu ce lien : German DJ livingrooms…
http://djworld.commongate.com/post/German_DJs_and_their_living_rooms
c’est dommage le site ci-dessus n’a plus toutes les infos, juste des
photos, le lien original est cassé c’était sur ce site :
http://ilx.p3r.net/
J’ai l’impression qu’en Europe l’innovation formelle et technique que représente la culture de la musique électronique n’a jamais été le levier d’un changement significatif dans les conditions économiques et sociale de la production culturelle. Ce changement à donné les moyens à la génération montante de possesseurs du capital de prendre des places stratégiques dans la production et la distribution des biens culturels, mais le capital n’a jamais changé de mains. En plus il n’y a pas dans la culture électro européenne, comme aux Etats-Unis dans la communauté noire, un lien historique entre la production culturelle et l’activisme social et politique.
Pour ça que je pense qu’il y a deux histoires et elles ont très peu à voir: d’un côté l’histoire des musiques des classes des ghettos américains, certains mouvements du free jazz, du hip hop, de la techno etc… et de l’autre l’histoire de la musique enregistrée comme divertissement de masse bourgeois en europe, qui contient comme chapitre l’électro telle qu’on la connaît.
Je suis toujours très suspicieux devant les discours sur l’histoire de la techno qui tracent une belle chronologie rectiligne Kraftwerk, UR, KLF, Laurent Garnier, Kompakt. Ils s’efforcent de plâtrer une continuité formelle là où il y à (en tout cas c’est mon intuition) une énorme rupture sociale et culturelle entre ce qu’il c’est passé aux états-unis et en l’europe pour l’électro. Je soupçonne toujours que c’est de la consommation culturelle de faire ça et de la manipulation idéologique."
Ma réponse:
je suis parfaitement d’accord avec ta critique de l’idée de récupération commerciale, j’avais moi-même des scrupules à l’écrire; cela étant il me semble l’avoir cantonnée à la partie couillonne du message. le comparatif entre électro et pme me satisfait pleinement, et c’est à cela que je pensais en parlant de kitsuné comme d’un label qui vend des pulls en cachemire et de la musique de club. en effet, la production musicale y est intégrée pleinement dans le processus de différenciation du produit visant l’installation durable dans une niche économique. peut-être qu’un peu trop d’ironie a pu dissoudre ce que je voulais dire; je ne pense pas une séparation entre une musique intégre et une musique mercantile; ça n’a évidemment aucun sens pour le milieu décrit ici. peut-être qu’un message sur les stratégies employée par les djs pour constituer un morceau en tube au sein de la scène électronique (diffusion de white labels, cdr envoyés directement aux amis djs branchés, invention de qualificatifs génériques, etc…) pourrait éclairer différemment cette idée, je ne sais pas, je vais y réfléchir.
J'apprécie beaucoup aussi ta mise au point historique: à creuser et spécifier. L'interview de Mad Mike avait ceci de passionnant qu'elle décrassait cette idée que Detroit est avant tout une étape dans l'histoire du mouvement techno: il y dit en gros: nous sommes encore là, encore vivants, et toujours dans une situation délicate. C'est bon de l'entendre, d'autant que la presse et la critique musicale spécialisée naissante a tendance à énormément historiciser un mouvement encore très jeune au fond.
céla étant, il y a deux choses que je souhaiterais maintenir: les catégorisations subies par les amateurs; il est parfois dur de prévoir que le disque qu’on écoute va devenir l’emblême d’une marque (d’où mon insistance sur l’incongruité de certains choix promotionnels). S’il ne s’agit pas à proprement parler de récupération, il y a re-catégorisation, et on sort de la logique de niche évoquée précedemment. Le problème pour l’amateur d’electro, dont l’existence dans ce milieu est largement tributaire de ses goûts, qu’il veuille ou non les afficher, est qu’il est remis en cause dans son illusion de spécificité. La façon dont on se constitue un panel de goûts prépare toutes sortes de réprésentations de soi: on aime sans doute inconsciemment des choses "pointues" parce que l'on tire une fierté de la recherche effectuée pour le découvrir. Mais ce qui est valable pour l'amateur l'est aussi pour le publicitaire qui cherche à investir cette implicite valeur dans le produit. Le problème étant qu'il ruine ce qui procure, même faiblement, du plaisir "nerd" à l'amateur.
L’autre chose que je souhaite maintenir, c’est l'intention du dernier paragraphe; si je parle de récupération c’est bidon en fait, puisque je ne désigne que des artistes choisissant trop explicitement de se positionner contre le système de niche. On rejette l'étiquette "musique pointue", ou on revendique un faux amateurisme de bon aloi, on se range de force dans avec les musiques "pas prise de tête": c’est ça leur niche en fait: “on fait de la musique pas spécifique” serait leur label dans le bac d'un magasin de disque conceptuel. regarde cette vidéo. Ce gars incarne tout ce que j’exècre: il feint de rejeter les “musiques compliquées”, comme si des gens se revendiquaient ainsi sur les labels qu’il vise (genre ninja tune), et tente de nous flouer en se disant "populaire" (ben voyons: c’est pour ça qu’il squatte le paris paris et qu’il lance son single par une soirée chez Colette. Il est trop ghetto ce mec). En bref: il y a mistoufle.
La musique de club européenne: confort bourgeois?
ça se saurait!
Post paresseux:
Je vous reproduit ici le mail que m'a envoyé mon ami Pierre, en réaction à l'article précédent:
"Il y a un truc que j’ai pensé en te lisant: je suis pas convaincu par la dialectique de la récupération commerciale que tu mets en place. J’ai l’impression que parler de récupération commerciale et utiliser ce genre d’arguments, c’est ne pas prendre en compte une idée qui demanderait à être vérifiée, mais qui me semble tenir intuitivement :
Pour moi la musique électro, telle qu’on la connaît aujourd’hui en europe, fait intégralement partie de la culture bourgeoise. Je ne saurais pas définir a priori ce que j’entends pas culture bourgeoise, mais dans son extension en france aujourd’hui on retrouve plein de choses qui sont hyper importantes dans la façon dont la culture électro est fabriquée et promue:
Les musiciens et les DJ sont représentés comme des cadres, spécialistes dans leur domaine, connaisseurs de tendances. Il y a aussi la mise en valeur de l’anonymat et de la bonne exécution, plutôt que de la virtuosité et de l’exception, et la valorisation du local, de l’échelle métropolitaine, ou régionale (french touch, Cologne etc…). Les labels sont comme des P.M.E., les patrons de label comme des entrepreneurs éclairés, ou des patrons de grands restaurants, ou de boîtes de nuit. Des mouvements comme l’electroclash modifient à peine la donne, son attachement à des valeurs punk étant tout à fait formel, combien de jeunes fils de famille maquillés en rockeurs sur leurs affiches pour un seul DJ Hell...
C’est propre et technologique, comme un monospace Peugeot à la sortie du showroom. Ce serait intéressant de comparer plus scientifiquement le statut de l’electro avec celui de la musique classique et la musique baroque dans la culture d’aujourd’hui. Mais prends le nombre de pubs avec de la musique classique ou baroque; en fait toutes les pubs qui ne ciblent pas un très grand public à coup de jingles et de musique teletubbies a de très fortes chances d’être accompagnée soit de classique soit d’électro en fonctions des connotations particulières de ce qui est vendu. De la même façon les pôles “culture officielle” de la musique classique et de l’électro se retrouvent sur ARTE dans une émission spécialisée et ils ont leur presse magazine de niche. Il y a aussi un culte des maisons de disque dans la musique classique et baroque qui est la plus proche de la culture officielle (exemple de Harmonia Mundi).
Peut être que tu as déjà vu ce lien : German DJ livingrooms…
http://djworld.commongate.com/post/German_DJs_and_their_living_rooms
c’est dommage le site ci-dessus n’a plus toutes les infos, juste des
photos, le lien original est cassé c’était sur ce site :
http://ilx.p3r.net/
J’ai l’impression qu’en Europe l’innovation formelle et technique que représente la culture de la musique électronique n’a jamais été le levier d’un changement significatif dans les conditions économiques et sociale de la production culturelle. Ce changement à donné les moyens à la génération montante de possesseurs du capital de prendre des places stratégiques dans la production et la distribution des biens culturels, mais le capital n’a jamais changé de mains. En plus il n’y a pas dans la culture électro européenne, comme aux Etats-Unis dans la communauté noire, un lien historique entre la production culturelle et l’activisme social et politique.
Pour ça que je pense qu’il y a deux histoires et elles ont très peu à voir: d’un côté l’histoire des musiques des classes des ghettos américains, certains mouvements du free jazz, du hip hop, de la techno etc… et de l’autre l’histoire de la musique enregistrée comme divertissement de masse bourgeois en europe, qui contient comme chapitre l’électro telle qu’on la connaît.
Je suis toujours très suspicieux devant les discours sur l’histoire de la techno qui tracent une belle chronologie rectiligne Kraftwerk, UR, KLF, Laurent Garnier, Kompakt. Ils s’efforcent de plâtrer une continuité formelle là où il y à (en tout cas c’est mon intuition) une énorme rupture sociale et culturelle entre ce qu’il c’est passé aux états-unis et en l’europe pour l’électro. Je soupçonne toujours que c’est de la consommation culturelle de faire ça et de la manipulation idéologique."
Ma réponse:
je suis parfaitement d’accord avec ta critique de l’idée de récupération commerciale, j’avais moi-même des scrupules à l’écrire; cela étant il me semble l’avoir cantonnée à la partie couillonne du message. le comparatif entre électro et pme me satisfait pleinement, et c’est à cela que je pensais en parlant de kitsuné comme d’un label qui vend des pulls en cachemire et de la musique de club. en effet, la production musicale y est intégrée pleinement dans le processus de différenciation du produit visant l’installation durable dans une niche économique. peut-être qu’un peu trop d’ironie a pu dissoudre ce que je voulais dire; je ne pense pas une séparation entre une musique intégre et une musique mercantile; ça n’a évidemment aucun sens pour le milieu décrit ici. peut-être qu’un message sur les stratégies employée par les djs pour constituer un morceau en tube au sein de la scène électronique (diffusion de white labels, cdr envoyés directement aux amis djs branchés, invention de qualificatifs génériques, etc…) pourrait éclairer différemment cette idée, je ne sais pas, je vais y réfléchir.
J'apprécie beaucoup aussi ta mise au point historique: à creuser et spécifier. L'interview de Mad Mike avait ceci de passionnant qu'elle décrassait cette idée que Detroit est avant tout une étape dans l'histoire du mouvement techno: il y dit en gros: nous sommes encore là, encore vivants, et toujours dans une situation délicate. C'est bon de l'entendre, d'autant que la presse et la critique musicale spécialisée naissante a tendance à énormément historiciser un mouvement encore très jeune au fond.
céla étant, il y a deux choses que je souhaiterais maintenir: les catégorisations subies par les amateurs; il est parfois dur de prévoir que le disque qu’on écoute va devenir l’emblême d’une marque (d’où mon insistance sur l’incongruité de certains choix promotionnels). S’il ne s’agit pas à proprement parler de récupération, il y a re-catégorisation, et on sort de la logique de niche évoquée précedemment. Le problème pour l’amateur d’electro, dont l’existence dans ce milieu est largement tributaire de ses goûts, qu’il veuille ou non les afficher, est qu’il est remis en cause dans son illusion de spécificité. La façon dont on se constitue un panel de goûts prépare toutes sortes de réprésentations de soi: on aime sans doute inconsciemment des choses "pointues" parce que l'on tire une fierté de la recherche effectuée pour le découvrir. Mais ce qui est valable pour l'amateur l'est aussi pour le publicitaire qui cherche à investir cette implicite valeur dans le produit. Le problème étant qu'il ruine ce qui procure, même faiblement, du plaisir "nerd" à l'amateur.
L’autre chose que je souhaite maintenir, c’est l'intention du dernier paragraphe; si je parle de récupération c’est bidon en fait, puisque je ne désigne que des artistes choisissant trop explicitement de se positionner contre le système de niche. On rejette l'étiquette "musique pointue", ou on revendique un faux amateurisme de bon aloi, on se range de force dans avec les musiques "pas prise de tête": c’est ça leur niche en fait: “on fait de la musique pas spécifique” serait leur label dans le bac d'un magasin de disque conceptuel. regarde cette vidéo. Ce gars incarne tout ce que j’exècre: il feint de rejeter les “musiques compliquées”, comme si des gens se revendiquaient ainsi sur les labels qu’il vise (genre ninja tune), et tente de nous flouer en se disant "populaire" (ben voyons: c’est pour ça qu’il squatte le paris paris et qu’il lance son single par une soirée chez Colette. Il est trop ghetto ce mec). En bref: il y a mistoufle.
La musique de club européenne: confort bourgeois?
ça se saurait!
4 commentaires:
Amusant, ces nouvelles distinctions. Cet homme semble s'être délivré de l'idée qu'il peut exister un rapport entre quelque chose qu'on dit (les paroles d'une chanson, par exemple) et ce qu'on pense. Préciser que les chansons c'est de la fiction lui sert à régler le problème. Etant entendu que pour lui la fiction c'est parfaitement irresponsable. Et j'aime ce moment où on dirait que les mots le trahissent : "Je m'en fous d'être un rebelle... je veux être dans l'ordre... dans le..., tu vois" et le récapitulatif en musique comparée et en misogynie.
Quelqu'un est-il en mesure de faire vraiment ce point en musique comparée et en misogynie et de suivre le devenir de l'expression "bitch" selon qu'elle est employée dans de la booty ou exportée par de jeunes parisiens ? Il s'agirait de parler du contexte.
"je veux que la musique soit une porte de sortie vers le rêve"
c'est beau ce qu'il dit
"je veux pas être un rebelle moi."
"si on pouvait avoir le talent d'un jay z pour mettre tout le monde d'accord...on le ferait!"
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